Mariage sous le régime de la séparation de biens : que se passe t-il pour le logement familial en cas de divorce ?
Retour 27 / 03 / 2020 Actualité

Mariage sous le régime de la séparation de biens : que se passe t-il pour le logement familial en cas de divorce ?

L’époux qui a financé le logement de la famille au-delà de sa quote-part d’indivision ne peut réclamer de créance. Sauf si son apport s’est fait en capital.

SOS conso. A l’heure du divorce, certains ex-époux estiment que le régime de la séparation de biens, pour lequel ils avaient opté en se mariant, afin de protéger leurs fonds propres, n’a pas suffisamment joué ce rôle. C’est notamment le cas de ceux qui ont acquis en indivision, à parts égales, un logement destiné à leur famille, mais qui l’ont financé bien au-delà de leur quote-part : tel chef d’entreprise, ayant, en pleine lune de miel, indiqué au notaire que lui-même et son épouse, sans profession, achetaient un appartement chacun par moitié, mais ayant en fait payé 100 % de celui-ci, regrette de ne plus pouvoir récupérer sa mise.

Jusqu’en mai 2013, cela lui était possible. Lors de la liquidation du régime matrimonial, l’époux réclamait une créance à l’indivision et l’obtenait, la jurisprudence qualifiant l’achat du logement de « dépense d’ investissement » et prévoyant un remboursement en cas de mise inégale.

Contribution aux charges du mariage

Ce qui pouvait aboutir à des injustices, comme l’explique Me Nicolas Graftieaux, avocat spécialiste du droit de la famille : « L’époux qui, pendant l’union, avait payé chaque mois 1000 euros pour le remboursement du crédit immobilier, et rien d’autre, pouvait se faire rembourser la moitié de sa dépense, tandis que l’épouse qui avait payé chaque mois 1000 euros pour les courses de la famille, le gaz ou l’électricité ne le pouvait pas, ces dépenses étant qualifiées de «charges du mariage».

Or, les « charges du mariage » peuvent très difficilement faire l’objet de règlements de comptes, lors du divorce : elles sont présumées avoir été payées au jour le jour, en fonction des revenus respectifs des époux. La plupart des contrats de séparation de biens, en particulier, stipulent que « chacun des époux est réputé avoir fourni au jour le jour une part égale aux charges du mariage, qu’aucun compte ne sera fait entre les époux à ce sujet et qu’ ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature ». Ce qui interdit à celui qui a sur-contribué de réclamer une créance.

Nouvelle jurisprudence

Les choses ont changé, lorsque la Cour de cassation a jugé, d’abord de plus en plus souvent, au début des années 2000, puis définitivement, le 15 mai 2013, que le remboursement de l’emprunt destiné à financer l’acquisition du logement de la famille devait lui aussi faire partie des « charges du mariage » : l’époux qui s’en acquitte ne fait que remplir son obligation de contribuer à ces charges, comme l’impose l’article 214 du code civil; lors de la liquidation du régime, il ne peut donc plus revendiquer de créance, même s’il a versé une contribution excédant sa quote-part, comme le montre l’exemple suivant.

Après avoir divorcé, Louis Y réclame une créance à l’indivision, du fait qu’il a financé intégralement l’appartement familial, censé avoir été acquis en indivision à 50/50. Il demande que le juge ordonne une expertise permettant de chiffrer son « excès de contribution aux charges du mariage ». Il est débouté, en première instance, en appel, et, le 25 septembre 2013 (N°12-21892), en cassation : « La présomption instituée par le contrat de mariage interdit de prouver que l’un ou l’autre des conjoints ne s’est pas acquitté de son obligation. »

Résidence secondaire

Cette nouvelle jurisprudence a considérablement allégé le travail des magistrats. Ils l’ont donc étendue à d’autres logements que celui de la famille, comme le montre l’affaire suivante. Patrick X et son épouse achètent en indivision une maison à Dinan (Côtes-d’Armor), en vue d’y habiter, puis un studio, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), afin d’y loger leurs enfants pendant leurs études. Lorsqu’ils divorcent, Patrick X réclame une créance de 50 % de la valeur des deux immeubles, du fait qu’il les a intégralement financés seul. L’ex-épouse lui oppose la clause de leur contrat de mariage selon laquelle « ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux ».

La cour d’appel de Rennes considère, le 20 juin 2017, que, s’agissant du logement familial de Dinan, « en raison de la volonté commune des époux et du caractère irréfragable de la clause de leur contrat de mariage, M. X ne peut pas rapporter la preuve contraire selon laquelle les dépenses qu’il a faites (…) dépassent le cadre de sa contribution aux charges du mariage ».
Mais, s’agissant du studio de Levallois-Perret, « qui ne constituait pas le domicile de la famille », elle accepte que Patrick Y rapporte la preuve d’une sur-contribution. Toutefois, elle considère qu’il ne le fait pas : « Il n’a présenté aucun chiffre. »

Patrick X se pourvoit en cassation : il s’étonne que le juge lui demande des « chiffres », alors qu’il ne conteste pas qu’il a, « seul, financé l’immeuble ». La Cour de cassation rejette sa demande, le 3 octobre 2018 (N° 17-25858) : « Le financement de ce bien, destiné à l’usage de la famille, même s’il ne constituait pas le domicile conjugal, est inclus dans la contribution de l’époux aux charges du mariage. »

Coup de frein

Les magistrats ont rapidement fait une interprétation large de la notion de charges du mariage, « interdisant aux époux de réclamer la moindre créance, y compris pour les financements en capital très importants », observe Me Graftiaux. Or, « dans des conditions similaires, l’époux marié sous le régime de la communauté peut non seulement se faire rembourser les apports réalisés avec des fonds propres mais en plus demander à les revaloriser selon la plus-value prise par le bien ». Un paradoxe, puisque le régime séparatiste est censé mieux protéger les patrimoines respectifs.

La Cour de cassation a-t-elle entendu les critiques que lui ont adressées nombre de juristes ? Le 3 octobre 2019, elle a, selon l’expression de Me Dominique Piwnica, avocate spécialiste du droit de la famille, « donné un coup de frein », à cette extension de la notion de charges du mariage. Elle avait été saisie par un ex-époux, ayant payé comptant une résidence secondaire, grâce à des fonds provenant de la vente de biens propres acquis avant le mariage (parts de SCI et immobilier).

La cour d’appel de Grenoble avait jugé, le 6 juin 2018, conformément à la jurisprudence, qu’il n’avait droit qu’à la moitié de sa propriété: « Le patrimoine de l’époux permettait cette acquisition, sans qu’il y ait lieu de distinguer ses disponibilités en revenu et en capital, contrairement à ce qu’il soutient : la notion de contribution aux charges du mariage peut comprendre de façon extensive toute dépense, tout investissement réalisé dans l’intérêt de la famille. »

La Cour de cassation l’a censurée (N°18-20828) : « L’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un ex-époux (…) ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage ».

Apport en capital

Cette décision est abondamment commentée. L’Association universitaire de recherches et d’enseignement sur le patrimoine (Aurep) écrit : « Voilà une heureuse nouvelle ! », tandis que la revue du cabinet de l’avocat évoque « un retour à la raison de la Cour de cassation » : une position inverse « aurait totalement nié les règles du régime de la séparation de bien et la séparation des patrimoines des époux ».

Pour les éditions Dalloz, cette décision « marque un coup d’arrêt à une conception particulièrement large des formes de contribution aux charges du mariage, dont la cour d’appel se faisait l’écho » » : en effet, elle « vient très explicitement de rejeter la possibilité d’intégrer les apports en capitaux parmi les formes de contribution aux charges du mariage ».

 

Publication Mars 2020

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